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Gouvernance mondiale, criminalité et violence : La criminalité transnationale organisée, une menace pour les Etats ?

Par Alberte Rolande Alfred, publié le 20/06/2022

Par Eden SMILA, publié le 17/01/2022

   La criminalité transnationale organisée est une notion assez complexe à définir. Les 120 pays ayant signé la Convention de Palerme contre la criminalité transnationale définissent les crimes organisés comme des "groupes structurés de trois personnes ou plus, existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente Convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel" (Nations unies, Assemblée générale, 2000, p. 4). Or, Gilles Favarel-Garrigues estime que cette définition est trop restrictive. En effet, selon lui, de nombreux partis politiques ou entreprises s'engagent dans des opérations illicites de financement. Par ailleurs, il estime que certaines propriétés appartiennent aux organisations criminelles ou mafieuses mais sont considérées comme des sociétés secrètes ayant recours à la violence et à la corruption. Enfin, il précise qu’on souligne fréquemment leur origine ethnique, clanique ou familiale, leur caractère conspirateur et leur conformité au modèle de la mafia sicilienne. Pour cet auteur, la notion de criminalité transnationale organisée renvoie à un “réseau de mafias au service d'objectifs illicites communs”, et elle ouvre de fait la perspective d'une “conspiration mondiale”. Il existe ainsi trois types de crimes transnationaux organisés : les atteintes (violentes) contre les personnes et les biens, l’organisation de trafics illicites rémunérateurs tels que la contrefaçon ou encore le trafic de drogue, le trafic d’armes; et enfin, la criminalité économique et d’affaires, entre autres, l’escroquerie, les fraudes, la corruption, ou le blanchiment (Queloz, 1999, p. 27-28).

 

Un problème majeur dans les relations internationales

 

   Fabrizo Maccaglia et Marie-Anne Matard-Bonucci disaient que le trafic illicite à grande échelle existe depuis longtemps car les triades de Hong Kong contrôlaient déjà la livraison d’opium indien en Chine, et la traite des travailleurs migrants aux États-Unis ou en Australie. De même, ils rapportaient que pendant l’entre-deux-guerres, les Japonais se livraient à la contrebande de matières premières d'Asie, et des contrebandiers américains installaient leurs distilleries au Mexique ou au Canada afin de contourner la législation en vigueur. Enfin, ils rappelaient qu’en 1927, Albert Londres, célèbre journaliste, avait publié une enquête sur les réseaux de prostitution conduisant les jeunes Français à aller de Marseille à Buenos Aires, en passant par Bilbao et Montevideo.

   Ce sont donc les transformations du monde contemporain qui ont permis l’apparition de nouveaux acteurs dans ces criminalités transnationales organisées, et qui ont ainsi donné à ce trafic une toute autre dimension. La mondialisation par exemple a conduit à un décloisonnement du monde, et a ainsi facilité la connexion des marchés et des acteurs criminels. L'ouverture des frontières a facilité une croissance sans précédent des mouvements migratoires, entraînant ainsi la formation de diasporas. L'augmentation du commerce a également été favorable aux trafiquants en ce qu'elle a par exemple rendu difficile la localisation des expéditions de médicaments ou de produits contrefaits dissimulés dans le fret légal. Pour ce qui est de la déréglementation des transactions financières, elle est venue s’ajouter à une réduction des contrôles publics, et a, pour sa part, facilité le recyclage des profits de trafic et provoqué une interprétation croissante de l’épargne légale et illégale. Toutefois, pour citer Maccaglia et Matard-Bonucci, “les experts affirment que le blanchiment d’argent par le crime organisé ne représente qu’une infime fraction de l’activité financière internationale irrégulière, comparé au détournement de fonds publics par des chefs d’État corrompus ou des opérations de faillite (autrement dit l’évasion fiscale des grandes sociétés).”

Aujourd’hui, le crime organisé est intégré dans la mondialisation ou globalisation, Maccaglia et Matard-Bonucci disaient dans Atlas des mafias, que : "Ce n’est ni le visage caché ni l’excroissance, mais une composante à part entière".

   Selon Favarel-Guarrigues dans son article "La criminalité transnationale organisée : un concept à enterrer ?", paru dans L'économie politique, la peur de la criminalité transnationale organisée (transnational ou global organized crime) n'avait pas cessé de croître pendant la période qui a séparé la chute du mur de Berlin de l'effondrement du World Trade Center. Selon lui, ce phénomène de crime organisé “succédait à la menace de l’expansion du communisme”, “cette nouvelle peur n'était pas sans similitudes avec celle des réseaux internationaux de "l'hyperterrorisme", désormais prédominante, et elle "pourrait aisément revenir sur le devant de la scène à la faveur de telle ou telle actualité propice".

La criminalité transnationale organisée a longtemps été perçue comme un problème mineur dans les relations internationales. Mais aujourd’hui, elle tend de plus en plus à devenir un problème majeur dans les relations internationales. “La souveraineté des Etats est contestée dans de nombreuses parties du monde, et les criminels jouent avec les frontières, défient la capacité des Etats à maintenir l’ordre et à protéger leurs citoyens” (Maccaglia et Matard-Bonucci, Atlas des Mafias).

 

  La criminalité transnationale organisée manifeste-t-elle une certaine forme de résistance dans les relations internationales ?

 

 

Des mécanismes abondants de lutte contre la criminalité transnationale organisée

 

  Des mécanismes européens et internationaux ont été institués afin de lutter contre ce phénomène de plus en plus grandissant. 

 

La politique de l’Union européenne (UE) se structure par exemple autour du cycle politique 2018-2021 qui permet de renforcer la coopération entre les entités compétentes au sein des États membres, notamment entre les institutions et agences de l'Union européenne, et les pays et organisations tiers, et le secteur privé. Leurs objectifs prioritaires sont multiples, et ont été recensés par FranceDiplomatie. il s’agit de lutter contre la cybercriminalité, et en particulier contre les attaques des systèmes d’information, contre la traite des enfants à des fins d’exploitation sexuelle, contre la fraude et les moyens de paiement non liquides, contre le trafic de drogues, notamment en entravent les activités des acteurs du crime organisé, en affaiblissant les réseaux impliqués dans le trafic de distribution de drogue, et en contrariant la production de drogues synthétiques et des nouvelles substances psychoactives; lutter contre le trafic de migrants, en combattant les groupes criminels qui facilitent l’immigration illégale; lutter contre les vols et cambriolages organisés opérés par les organisations criminelles  particulièrement mobiles à l’échelle de l’Union européenne, lutter contre la traite des êtres humains ; lutter contre la fraude fiscale, en particulier la fraude des marchandises taxées comme le tabac ou l’alcool ou la fraude à la TVA ; lutter contre le trafic d’armes à feu ; contre la criminalité environnementale, plus particulièrement le trafic d’animaux sauvages et le trafic illicite de déchets ; contre le blanchiment d’argent, en ciblant plus particulièrement le blanchiment d’argent effectué au moyen de nouvelles méthodes de paiement ; et contre la fraude documentaire, comme le trafic de faux papiers".

La création d’Europol en 1999 avait pour but de faciliter les échanges d’informations entre les Etats membres, d’effectuer des analyses criminelles et d'évaluer la menace qui pèse sur les Etats membres de l’UE. Europol est au cœur du dispositif européen de lutte contre la criminalité transnationale organisée, avec Eurojust qui se positionne cependant au niveau de la justice. La France participe elle aussi activement à son développement. 

 

Outre les actions menées par l’Union européenne, la France a elle aussi joué un rôle très actif dans la négociation de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée signée en 2000 à Palerme. Cette Convention a tout d’abord défini certaines notions fondamentales de droit pénal en matière de lutte contre la criminalité transnationale organisée, tels que les groupes criminels organisés, l’infraction grave, le produit du crime… Elle a ensuite fait le rapprochement de législations pénales, en enjoignant aux Etats d’ériger en infractions pénales la participation à un groupe criminel organisé (L’article 367 du nouveau Code pénal incrimine désormais la constitution d’un groupe criminel organisé, qui consiste à “initier ou à créer un groupe criminel organisé, à adhérer ou à soutenir, sous quelque forme un tel groupe”), le blanchiment d’argent (En France, le blanchiment d’argent est réprimé par l’article 324-1 du Code pénal, qui prévoit une peine de 5 ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende), l’entrave au bon fonctionnement de la justice et la corruption, et enfin, elle a développé la coopération judiciaire internationale en instituant des procédures d’entraide judiciaire et d’extradition dans un cadre universel. De même, des dispositions spécifiques ont été prévues pour assurer la traçabilité de l’argent sale, ainsi que la saisie et la confiscation des avoirs criminels.

La Convention de Palerme contre la criminalité transnationale organisée est assortie de trois protocoles additionnels qui sont avant tout des instruments répressifs. Il s’agit du Protocole contre la traite des personnes (celui-ci pose l’obligation pour les États d’introduire dans leur législation pénale des infractions permettant de poursuivre les groupes criminels organisés se livrant à la traite. Il définit assez largement la traite comme étant "l’exploitation sexuelle, le travail forcé, l’esclavage, la servitude et le prélèvement d’organes") ; Le protocole contre le trafic de migrants par terre, air et mer (il oblige les États à poursuivre les trafiquants qui facilitent l’entrée clandestine des immigrants, mais aussi ceux qui aident à leur séjour illégal sur le territoire d’accueil. Il oblige en outre, la reprise par les États de leurs nationaux et résidents permanents victimes de la traite ou ayant fait l’objet du trafic de migrants, de même pour le protocole contre la traite des personnes). Enfin, on a le protocole contre le trafic d’armes à feu, qui introduit des dispositions identiques à celles des protocoles contre la traite des êtres humains et contre le trafic de migrants. 

 

S’agissant de la Convention de Mérida, il s’agit d’une convention contre la corruption signée par l’Organisation des Nations unies en décembre 2003, à Mérida. C’est elle qui a, pour la première fois, établi en droit international, un principe de restitution des produits des infractions de détournement de fonds publics et de blanchiment de ces fonds. Tout comme pour la convention de Palerme, cette convention a été mise en oeuvre à l’issue d’une conférence des États parties. La France a ratifié ce texte en 2007, et prend aujourd’hui part à l’ensemble des négociations permettant l’élaboration de ces normes pénales internationales, qu’il s’agisse de recommandations, de résolutions ou d’instruments plus contraignants.

 

Quant au Groupe Lyon-Rome du G7, c’estn comme son nom l’indique, un groupe de travail du G7 qui a pour vocation de lutter contre le terrorisme et plus généralement contre la criminalité organisée transnationale. Ce groupe rassemble des délégués et experts, issus des pays membres du G7, de l’Union européenne, mais aussi d’organisations internationales comme Interpol, l'ONU, ainsi que des pays invités à y participer ponctuellement. Cela permet de préparer les travaux du Sommet et des réunions ministérielles du G7, notamment en matière de lutte contre la criminalité organisée. On pense à la cybercriminalité, aux trafics de drogues, ou encore à la traite des êtres humains. En 2019, à l’occasion de sa présidence du G7, la France a mis l’accent sur la lutte contre la criminalité environnementale et la lutte contre les passeurs de migrants.

 

Enfin, pour lutter contre la criminalité transnationale organisée, l’Organisation internationale de police criminelle (OIPC-Interpol), a été créée en 1923, et est basée à Lyon. Grâce à son réseau de communication policière mondiale sécurisée et de bases de données opérationnelles, elle apporte un soutien opérationnel aux services de police. Elle propose également des formations et des groupes de travail afin d’échanger sur les enquêtes, de permettre des analyses criminelles et de tenir des statistiques. Avec son service de coopération technique internationale de police, qui est la Direction de la Coopération internationale au sein du ministère de l’Intérieur (l’un des plus denses au monde), la France attaque les réseaux criminels “à la source” ou dans les pays de transit, et privilégie de facto les actions en lien avec la sécurité intérieure de notre pays. 

 

L’insuffisance des mécanismes européens et internationaux

 

Les Etats semblent ainsi être de plus en plus armés pour combattre ce phénomène de criminalité transnationale organisée. Mais est-ce à dire pour autant que ces mécanismes suffisent à éradiquer les crimes organisés ? Jean-Louis Hérail disait qu’ “Il y aura toujours des pays dont les gouvernements sont trop corrompus ou dont les infrastructures juridiques sont trop primitives pour leur permettre de participer activement à de tels arrangements", et “des lacunes subsisteront invariablement dans le cadre législatif international et, par conséquent, dans les capacités d’exécution des différents États”. En témoigne l’actualité internationale, puisque fin 2021, France 3 Occitanie avait par exemple annoncé l’interpellation de 12 personnes en Espagne, en France, en Italie et en Roumanie dans le cadre d’une vaste enquête qui avait conduit au démantèlement d’un réseau de prostitution. Au début du mois de novembre 2021, le rappeur américain Nines avait écopé d’une peine de 28 mois d’emprisonnement pour avoir importé du cannabis au Royaume-Uni, en passant par l’Espagne et la Polande, selon BBC News. In fine, la justice belge a récemment annoncé le démantèlement d’une organisation criminelle soupçonnée d’avoir importé en Belgique plus de 15 tonnes de cocaïne en passant par les ports d'Anvers et de Rotterdam. Malgré le succès de ces opérations, l’on constate que les groupes criminels continuent à se former dans l’ombre, et que la criminalité organisée continue à sévire, faute de mécanismes efficaces. Il en faudra bien plus pour parvenir à un meilleur résultat. 

 

Bibliographie : “Atlas des mafias, acteurs, trafics et marchés de la criminalité organisée”, par Fabrizo Maccaglia et Marie-Anne Matard-Bonucci; “Blanchiment d’argent et criminalité organisée : la dimension juridique”, par Jean-Louis Hérail; “La criminalité transnationale organisée : un concept à enterrer”, par Gilles Favarel-Garrigues.

Troisième  année de droit public à CY Cergy-Paris Université, Alberte Rolande a obtenu son diplôme DU Clinique Juridique en 2022 . 

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Alberte Rolande Alfred

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